Montréal-Vancouver par le train : suite et fin


Suite et fin de notre grande épopée ferroviaire à bord du Transcanadien pour relier Montréal à Vancouver avec Via RAIL. Après de longues journées à traverser les plaines blanches des provinces centrales, nous allons assister à un véritable tour de force : la disparition de l’hiver !

Précédemment dans « Si on traversait le deuxième plus grand pays de la planète par le rail ? », notre historique et métallique véhicule reprenait sa longue marche vers l’ouest après un arrêt matinal à Winnipeg, la capitale du Manitoba. L’occasion pour le train de remplir le réservoir, d’accueillir un nouvel équipage – toujours aussi courtois et sympathique – et, pour les passagers, de se dégourdir les jambes quelques dizaines de minutes. Cette troisième journée sur la ligne du Canadien sera la dernière dans les grandes plaines centrales. À bord, les hôtes du train ont eu le temps, depuis l’embarquement à Toronto, de faire connaissance au gré des repas et des discussions. La plus longue partie du voyage est derrière nous, le rythme de croisière bien installé. Chacun sent pourtant que quelque chose pourrait bientôt changer; une légère excitation commence à poindre malgré la monotonie hypnotique des décors traversés: nous sommes tout début mars et l’hiver reste le maître incontesté des plaines canadiennes.

La Saskatchewan et l’Alberta

Les panoramas immaculés du Canada agricole continuent de défiler doucement alors que le train s’applique à franchir une nouvelle province connue elle aussi pour ses vastes prairies méridionales et ses reliefs plus accidentés au nord. C’est pile entre les deux, au beau milieu de la Saskatchewan, que nous entraîne la locomotive. Comme un copieux retard a déjà été accumulé – pour rappel, les trains de marchandises ont la priorité sur le réseau et le Transcanadien doit stopper régulièrement pour les laisser passer –, l’escale à Saskatoon sera de courte durée. L’Alberta nous attend de pied ferme et déjà se signale au passage d’une petite gare patrimoniale dont l’architecture tranche avec toutes celles croisées auparavant : Wainwright, ville de moins de 6 000 âmes fondée en 1905 et qui abrite une garnison de la 3e Division de l’armée canadienne. À portée immédiate de la station, un mignon musée historique vaut le coup d’oeil pour peu que l’arrêt le permette. En Alberta, au fil des gares, des hameaux et des fermes, ce Canada des champs basculant à l’ouest affirme de plus en plus sûrement son folklore rural. Notre précieux conseil à ce stade du voyage est de vous rendre dans la voiture Skyline la plus proche, d’inviter Neil Young – natif de Toronto, faut-il le rappeler – dans vos écouteurs, et de laisser couler le long-métrage panoramique.

200 km plus loin, tandis que le jour décline, la capitale de la province met fin aux rêvasseries country-folk. C’est l’occasion de rappeler que les Albertains, contrairement aux jugements hâtifs, sont majoritairement des citadins installés soit à Calgary, la métropole provinciale, soit à Edmonton, la capitale et notre escale vespérale. Sur les voies, la présence d’un coyote nous signale tout de même que le far west n’est pas si loin…

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La ville d’Edmonton © VIA Rail

L’adieu aux plaines

Pour certains, Edmonton est le terminus du trajet. Un passager qui ne descend pas ici pour faire du tourisme mais pour retrouver son foyer nous salue alors « in french ». Il explique que la ville abrite une minorité francophone loin d’être négligeable – environ 16 000 Franco-Albertains – avant de préciser que ce territoire exploré au XVIIIe siècle par les frères de la Vérendrye utilisa majoritairement la langue de Molière jusqu’à la fin du XIXe siècle. Pendant ce temps, de nouveaux visages ont rejoint la joyeuse troupe pour le dernier tronçon de la traversée. Du sang neuf pour renouveler les conversations au wagon-restaurant ou au bar !

Une fois quitté l’Alberta urbain, les derniers kilomètres de plaine étourdis par la nuit hivernale nous préparent à la grande frustration de ce voyage : c’est dans le noir complet que le train va accrocher les premiers reliefs des Montagnes Rocheuses. C’est le moment d’être jaloux de ceux qui effectuent le trajet dans le sens inverse ou en été, car eux peuvent compter sur la lumière du jour pour admirer les décors insensés du parc national de Jasper. Ses 10 878 km2 en font l’un des plus vastes du pays et ses glaciers, ses sources chaudes, ses lacs, ses chutes et sa faune sauvage (wapitis, orignaux et caribous, ours et grizzlis, chèvres de montagnes et mouflons…), l’un des plus spectaculaires. Prévenante (et bien au fait de notre sale manie), notre préposée va gentiment proposer de nous réveiller lors de l’escale à Jasper, aux alentours des 4 heures du matin, pour respirer l’air des Rocheuses et… la fumée d’une cigarette. Banco !

Un autre monde

Mais si la dernière nuit complète à bord du Transcanadien a été synonyme de sommeil en pointillé, ce sont l’excitation d’atteindre enfin la Colombie-Britannique et la peur de rater les premières lueurs de l’aube qui en sont, évidemment, les premières responsables.

À la fraîche, sous le dôme panoramique, d’autres passagers ont eu la même brillante idée. Le festival de « wow » peut commencer ! Le train se faufile dans les gorges étroites de la rivière North Thompson alors que le jour se lève, laissant apparaître de majestueuses montagnes (Monashee, Hallam Peak, Gold Peak…) et égrainant bientôt les localités aux noms évocateurs : Tête Jaune Cache, Blue River, Clearwater, Chu Chua, Chinook Cove… Nous voilà au coeur du sujet. La vraie conquête l’Ouest à la manière des chercheurs d’or d’il y a 150 ans, service déjeuner en prime. Un arrêt carburant à Kamloops permet de prendre la température de ce nouvel univers dont les reliefs et les teintes rappellent ceux des westerns. Premier constat : elle est autrement plus douce ! La neige a pratiquement disparu du sol et le bonnet se fait beaucoup moins indispensable. Le chemin de fer épouse ensuite l’un de ses tronçons les plus magistraux, le long de l’immense lac Kamloops. On a tout loisir d’observer ses rives, côté gauche, où tentent de s’accrocher les derniers glaçons de la saison, et tout un chaos de reliefs érodés à tribord, façon grand canyon. Il ne manque que les cactus pour se croire au beau milieu de l’Arizona.

Jusqu’à l’océan

Le train a maintenant piqué en direction du sud, reprenant le fil de la Thompson River. Le reste de cette journée à épier les couleurs du nouveau monde passe en un clin d’oeil. L’arrivée en Colombie-Britannique nous a tout simplement fait changer d’espace-temps. Direction le wagon-bar pour vérifier que ce ressenti est partagé. C’est bien le cas, mais comme souvent à bord du Canadien, les discussions tournent rapidement à l’échange interculturel. Et devinez de quoi un Américain, une Australienne, un Canadien anglophone et un Français parlent à coup sûr ? Des systèmes de santé de leurs pays respectifs et de… Donald Trump !

C’est donc dans la (relative) bonne humeur, au milieu d’un décor de cinéma et en musique – grâce au programme Artistes à bord de VIA Rail (cf. notre précédent épisode) – que va s’achever cette croisière ferroviaire à la fois zen, reposante et riche en surprises. Au milieu de la nuit, la lente progression du train dans les secteurs industriels et portuaires de Vancouver mettra tous nos sens en éveil. Le retard accumulé devient alors la prolongation d’un vrai plaisir de découverte et d’échanges. L’équipage nous aidera même à rejoindre l’hôtel à l’arrivée en distribuant des bons de taxi. Il est 4h30 du matin. Aux antipodes de l’hiver montréalais, le doux parfum du Pacifique nous accueille. Bienvenue à Vancouver !

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Skyline de Vancouver © Lee Robinson / Unsplash

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David Lang

Journaliste spécialisé voyage et art de vivre, David se régale avec le Québec depuis plus de 15 ans. Après plus de 40 voyages à travers les régions et les saisons de la Belle Province, il devance largement Jacques Cartier et s’avoue toujours aussi bluffé par les expériences et les rencontres à vivre sur ce territoire hors nome. David le rédac’ chef anime une équipe de rédacteurs et de photographes avec qui il partage sa soif de découvertes chez les cousins.