Le P’tit Train du Nord entre euphorie et grimaces


Rallier Val David au départ de Saint-Jérôme, à pied : c'est le petit défi que s'est lancé notre reporter Olivier Pierson. Quarante-deux kilomètres et quelques courbatures plus tard, il nous raconte cette expérience d’une journée le long du parc linéaire Le P’tit Train du Nord, dans les Laurentides.

Rallier le charmant village de Val David au départ de Saint-Jérôme, j’en salivais depuis un certain temps, avec une pointe de défi – et d’appréhension – au bout de mes chaussures de randonnée. Avant de m’élancer, j’ai estimé à 9h le temps qu’il me faudra, incluant les pauses, pour avaler les 42 kilomètres séparant ces deux localités de la région des Laurentides, située à proximité de Montréal. Oui, 42 kilomètres. Un marathon. Un marathon avec un sac d’environ 8 kilos sur le dos. Disons que je ne m’attendais pas à une partie de plaisir.

Samedi 29 septembre, 7h50 : le grand départ. Un ami m’a déposé à la gare de Saint-Jérôme, d’où s’élance le parc linéaire Le P’tit Train du Nord. Très prisé des cyclistes, mais aussi des skieurs de fond en hiver, ce sentier aménagé sur une voie ferrée désaffectée s’étire jusqu’à Mont-Laurier, sur plus de 200 km. Les gares qui la jalonnaient ont été soit conservées, soit rénovées ou reconstruites. Je vais en traverser quatre. Je déborde d’entrain malgré la distance à accomplir, en me demandant dans quel état je vais arriver.
Ma plus longue virée en une journée, c’était il y a quatre ans : 31 km.

DE GARE EN GARE

Les premiers kilomètres respirent la formalité. Je suis parti sur un bon rythme. J’avale la distance avec la régularité d’un métronome : un kilomètre toutes les 10 minutes. La piste en asphalte a laissé place au gravier. Plane et bien entretenue, elle ne présente aucune difficulté. La rivière du Nord n’est jamais très loin du parcours. L’autoroute 15 – et la route 117 – non plus. Un accompagnement sonore qui vient contrecarrer mon désir de communier avec la nature. Le silence attendra.
Ma première pause – 22 minutes exactement – a pour cadre l’ancienne gare de Prévost (1898), au 14e km. Il est 10h08. Sur le parking, quelques cyclistes ajustent leurs montures avant les premiers coups de pédale. Je vais en croiser beaucoup durant ma randonnée. Je sirote mon premier café sur la terrasse, au prix imbattable de 1$ (importé directement de la cafetière, d’où ce tarif défiant toute concurrence).

La météo s’est mise au diapason de la balade, avec une quinzaine de degrés prévus dans l’après-midi et un soleil qui se faufile généreusement entre des nuages rarement pleurnichards. La prochaine gare (Piedmont, reconstruite en 1999) se trouve à 6,6 km. Je parviens à sa hauteur à 11h35, sans m’y arrêter. J’ai prévu de le faire à l’ancienne gare de Sainte-Adèle (Mont-Rolland), située à environ 5 km de là. Elle apparaît après une longue montée de 2 km (à partir du 23e). Il est 12h25. En soustrayant ma première pause, j’ai parcouru 25 kilomètres en 4h15. Mon rythme du début (6 km/h en moyenne) n’a pas faibli, ce qui augure une arrivée plus tôt que prévue à Val David. Repas oblige, je m’octroie 40 minutes de détente au Café de la Gare et son ambiance surannée – qui jouxte un magasin de vélo offrant location et réparation – où des photos d’une autre époque tapissent les murs. Je mets cet arrêt à profit pour m’aérer les doigts de pied et vérifier que l’irritation qui me démange la voûte plantaire n’annonce pas de futures ampoules, l’ennemi juré du randonneur. Fausse alerte. Ouf.

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L’ancienne gare de Sainte-Adèle accueille aujourd’hui un café (où il est possible de manger), ainsi qu’une boutique spécialisée dans le vélo. © Olivier Pierson

LES PRÉMICES DU FESTIVAL AUTOMNAL

13h05, me voilà reparti, le sac un peu moins lourd et le moral toujours au beau fixe. Une fois passé Sainte-Adèle, le murmure routier se fait plus discret, voire inexistant, d’où l’impression de pénétrer plus profondément dans la nature, de décrocher vraiment. Tout autour de moi, l’automne balbutiant a commencé à relooker les arbres. Les tonalités vives ne dominent pas encore la palette forestière, mais ce décor chamarré apporte son écot au charme de la randonnée. Les montées sont constantes sans être insurmontables. La fatigue aidant, elles peuvent avoir un côté démoralisant, au même titre que les panneaux qui égrènent les kilomètres. Eux, je les ai maudits !

Entre le 30 et le 35e kilomètre, je tombe sur une biche. Elle bondit à quelques mètres de moi pour regagner la forêt. Mais au lieu de fuir, elle se retourne, s’immobilise, plante son regard dans le mien. Comme si elle me défiait ou m’intimait de déguerpir. Je constate qu’elle cherche juste à protéger son petit, tout près d’elle et que je n’avais pas vu. La voilà qui tape à trois reprises sur le sol avec une de ses pattes avant pour me faire comprendre de ne pas m’approcher. Loin de vouloir les apeurer, je décide de poursuivre ma route, ragaillardi par cette rencontre fortuite.

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L’automne avait commencé à prendre ses aises le long de la piste cyclable. © Olivier Pierson

LE TEMPS DES GRIMACES

15h03. Un troisième arrêt s’impose. Le poids de la fatigue commence à se faire sentir. J’ai avalé 35 kilomètres et l’impression d’avoir tapé un mur. Ça me rappelle mon marathon à Paris en 2004. Drôle de similitude. C’est au 35e – juste en face du panonceau indiquant cette distance – qu’a été installé un banc qui me fait l’effet d’un cadeau de la providence. Je m’y assois, engouffre une dernière collation en me laissant bercer par le bruit de rapides situés dans mon dos, en contrebas.

La fin du périple ressemble à une soupe à la grimace. La machine s’est grippée, et mon rythme du début a laissé place à un mollasson 4 km/h. Chaque kilomètre me semble une éternité, je rêve du lit qui m’attend à l’auberge de jeunesse de Val David où j’ai réservé une chambre dans un dortoir. Les crampes qui me tiraillent l’arrière des genoux excluent toute envie d’accélération. Je suis vidé. L’immense lac Raymond, qui apparaît aux alentours du 40e km, me redonne un peu d’aplomb avec son panorama montagneux. J’aperçois un kayakiste qui a l’air minuscule dans ce décor enchanteur. Il glisse alors que moi je galère.

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L’immense réservoir du lac Raymond se découvre à moins de 5km de Val David. © Olivier Pierson

Je franchis la gare de Val Morin à 15h58. Près de 40 minutes plus tard, Val David m’ouvre ses bras. Il est 16h37, l’heure de la délivrance. Je dois encore parcourir 800 mètres pour regagner le Chalet Beaumont… situé au sommet d’une côte bien raide, que j’encaisse comme un Everest étant donné ma forme ramollie. Fin du marathon, début des courbatures.

Après la douche, je m’accorde un petit réconfort à la micro-brasserie Le Baril Roulant, adresse incontournable de cette localité artistique et gourmande. Croyez-le ou non, il y a longtemps que je n’avais pas autant apprécié un lit, comme il y a longtemps que je ne m’étais pas couché à 20h…

Plus d’informations : ptittraindunord.com

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Olivier Pierson

Journaliste depuis une vingtaine d'années, Olivier a œuvré en France au sein de la presse quotidienne régionale, traitant de sujets aussi divers et variés que le sport, la politique ou les faits divers... C'est désormais à la culture et au tourisme de plein air que ce fondu de marche consacre la majeure partie de son temps, toujours friand de découvertes et de rencontres, mais aussi de nouvelles expériences !