Et si nous mangions la mer !

Gastronomie québécoise


Le Québec est considéré depuis toujours comme un territoire de pêche de prédilection. Quel rapport entretient-il avec ses ressources marines ? À travers son histoire, ses contradictions et ses défis, partons à la découverte d’un monde aussi riche que surprenant.

Plongée dans le patrimoine marin (et gourmand) du Québec

Avec plus de 220 000 km de littoral, l’accès à trois océans ainsi qu’à des milliers de lacs et de rivières, le Canada constitue une manne pour les ressources marines et halieutiques. Plusieurs Premières Nations, nomades ou non, ont d’ailleurs historiquement attribué à la pêche une place privilégiée dans leurs moyens de subsistance. Elles ont aussi mis au point des techniques de fumaison et de salaison pour bénéficier de cette ressource été comme hiver, alors que la glace les empêchait d’accéder facilement à des prises. Une évolution contre vents et marées C’est également la pêche qui a attiré les premiers colons européens au Canada dès le XVIe siècle. La morue et la baleine, que l’on séchait ou salait, étaient alors les espèces les plus prisées. Au cours des deux siècles suivants, le flétan, l’aiglefin, le maquereau, le phoque, la sardine et le homard se sont greffés au nombre des ressources convoitées. Il a toutefois fallu attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que le commerce du poisson frais s’intensifie avec notamment la pêche au pétoncle, à l’espadon et au hareng. À compter de 1945, l’arrivée de nouvelles technologies comme celles du sonar et de la réfrigération a assuré le développement commercial d’autres pêches, dont celle du sébaste, de la plie, du poisson plat, du crabe et de la crevette. Le Canada est à compter des années 1980 devenu le plus grand exportateur de poissons au monde. Mais cette prospérité a aussi eu des effets pervers. Des crises causées par la surpêche, la surproductivité et la pollution ont touché le Québec comme d’autres provinces, ce qui a entraîné des contrecoups fâcheux. Par exemple, le moratoire de 1992 sur la pêche à la morue du Nord, maintenant décimée, a causé la perte de 40 000 emplois dans la province. Les difficultés rencontrées par les pêcheurs ont néanmoins profité à l’exploitation des mollusques et des crustacés, qui connaissent depuis un succès retentissant internationalement. Ces nouvelles ressources, considérées comme des produits haut de gamme, rapportent chaque année au Québec plus de 17 millions de dollars.

Une mer de possibilités

Si la pêche de nature commerciale représente depuis longtemps un pendant important de l’économie de certaines régions du Québec, il ne faut pas sous-estimer l’impact de la pêche sportive. Dans son plus récent ouvrage Cuisine de pêche (éditions La Presse), une véritable bible sur les poissons du Canada, le chef exécutif du Fairmont Le Château Frontenac, Stéphane Modat, a pêché et recensé dix-huit espèces de poisson qu’il a ensuite déclinées en recettes de son cru. Comme il l’indique, « la richesse dans notre territoire se trouve partout, on n’a rien à envier à personne. Ce bouquin est pour moi bien plus qu’un livre de recettes. C’est aussi un livre sur la fierté, sur nos régions, sur nos richesses. » En parcourant les pages de cet ouvrage, on apprend effectivement qu’il n’y a pas que des saumons, des truites ou des esturgeons qui fraient dans les rivières et lacs canadiens. On y retrouve aussi du doré, de la lotte, du brochet, du maquereau, de l’achigan, de la perchaude, du bar rayé. Ainsi que des espèces plus méconnues comme le grand corégone, le touladi ; et de l’alose savoureuse que l’on pêche d’ailleurs en zone urbaine à Laval-des-Rapides, tout près de Montréal. « C’est hallucinant de voir tout ce potentiel. Et tout cela avec des panoramas exceptionnels et une tonne d’idées glanées auprès des locaux pour cuisiner », avoue le chef.

Visite guidée d'Exploramer - Photo Jérome Landry

Exploramer – Photo Jérome Landry

Un patrimoine méconnu

Sandra Gauthier, directrice générale d’Exploramer, un organisme dont la mission est de promouvoir les ressources marines et halieutiques du Québec, est tout comme Stéphane Modat impressionnée par la diversité des poissons, mollusques, crustacés et plantes marines que l’on compte au Québec. Elle regrette cependant que les Québécois ignorent encore une bonne partie de ce patrimoine. Il est évident que lorsqu’on se rend dans les grandes surfaces, en dehors du saumon et de la truite arc-en-ciel, tous deux issus de la pisciculture et non de la pêche, ainsi que de quelques prises décongelées et de homards en saison, les richesses marines québécoises sont souvent sous-représentées… et méconnues. Pour les découvrir, il faut rendre visite à des poissonniers, des restaurants ou fréquenter des pêcheurs sportifs. « On connaît assez bien maintenant certains produits comme le homard, le crabe moyen, la morue et la crevette nordique. Mais on en importe aussi beaucoup de l’étranger. Des crevettes tigrées, du bar rayé du Chili, de la pieuvre… » Un constat partagé par Stéphane Modat, qui va jusqu’à dire : « Il faut que les gens ouvrent les yeux. Moi, servir à table du tilapia ou du pangasius qui gisent dans un trou de vase, ça ne me plaît pas. Mais trouver du brochet ou de la lose savoureuse, c’est plus compliqué. » Pourtant, comme Sandra Gauthier le martèle régulièrement, il y a beaucoup à découvrir dans les eaux québécoises. Tranquillement, certaines espèces se taillent une place sur les menus, à l’image du flétan atlantique et du Groenland, de l’oursin vert, du phoque, du crabe commun, du concombre de mer et du couteau droit. Mais ce n’est pas encore le cas d’autres poissons comestibles comme la loquette d’Amérique, qui ressemble à une anguille, le chaboisseau, de la même famille que la baudroie, et le sébaste atlantique. « Et le pire, déplore-t-elle, c’est que les pêcheurs rejettent à l’eau certaines de ces espèces parce qu’elles ne sont pas commercialisées. Un gaspillage monumental qui pourrait être évité si les Québécois étaient plus éduqués à leurs ressources. »

Une relation particulière

Qu’est-ce qui explique une telle méconnaissance ? En fait, même si les Premières Nations et les communautés côtières du Québec entretiennent depuis longtemps un rapport étroit avec les ressources marines, ce n’est pas le cas des personnes qui habitent à l’intérieur des terres ou dans les villes. « Le peuple québécois est par essence plus chasseur que pêcheur, explique Sandra Gauthier. La longueur de l’hiver rendant les plans d’eau inaccessibles pendant plusieurs mois, ainsi que l’absence de routes et les moratoires sur certaines espèces ont freiné la commercialisation des poissons frais. On les connaissait essentiellement salés ou séchés,ce qui n’est pas du tout la même chose. » Certes, la société québécoise a évolué. Les principes religieux, le métissage des cultures, les recommandations des nutritionnistes et l’impact de certains chefs ont porté fruit. On connaît et on apprécie mieux aujourd’hui le poisson et les fruits de mer au Québec, mais on importe toujours plus de produits de l’étranger qu’on ne consomme des produits locaux. Cette demande locale assez faible a provoqué un autre problème : l’exportation à outrance de certaines ressources. La qualité des produits marins du Québec est reconnue mondialement, et à ce titre, ils se vendent très bien sur plusieurs marchés, notamment aux États-Unis et en Asie. Les pêcheries québécoises exportent donc de grandes quantités de homards, de crabes des neiges (90 % de la pêche annuelle) et de crevettes nordiques. Mais elles réservent aussi presque exclusivement certains produits à l’export. C’est le cas par exemple du crabe commun, de l’oursin et du couteau, auxquels même les chefs de la province ont difficilement accès. « Nous avons trois grands défis à relever aujourd’hui, indique la directrice d’Exploramer : nous assurer que les espèces pêchées ici sont proposées ici avant de partir à l’étranger ; revoir notre modèle de pêche en favorisant les entreprises de plus petite taille et en minimisant les rejets ; et enfin encourager la commercialisation d’espèces méconnues en les démocratisant auprès du grand public. »

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Poisson Matakan © Auberge Manawan

Préservation et développement

La conservation du patrimoine marin québécois, menacé par la surexploitation ou, a contrario, par la sous-exploitation la prolifération des phoques, qui déciment les bancs de morues, en est un bon exemple – inquiète les experts depuis un bon moment. Les moratoires, les quotas restrictifs et le zonage ont été mis en place par les paliers gouvernementaux pour sauvegarder des ressources qui, au même titre que les sardines, ont été décimées. Le gaspillage est une autre problématique dont il faut tenir compte. Rejeter des poissons comestibles à l’eau, alors qu’ils sont déjà morts dans les filets, est ridicule. Utiliser une simple fraction des produits que l’on pêche est également un non-sens. Comme le dit Stéphane Modat, qui s’est rendu plusieurs fois dans les communautés inuites et cries du Grand Nord, « nos grands discours sur l’environnement me font sourire parce que ces gens-là, ils récupèrent tout sur les poissons. Les têtes, les joues, les yeux, les branchies et les entrailles. Les Inuit font même du maquillage à partir des écailles de corégone. » Le chef est également admiratif du savoir-faire des Premières Nations avec les poissons. « Les Cris vont faire des coupes différentes du même poisson selon le type de cuisson qu’ils auront prévu. C’est fou, toutes ces techniques et cette réflexion globale autour d’un produit ! » Si la préservation des ressources marines est une chose, son développement en est une autre. Depuis quelques années, les projets se multiplient notamment autour des plantes marines. Les algues à elles seules attirent de plus en plus l’attention pour leurs effets bénéfiques sur la santé, leur renouvellement rapide et leur potentiel de transformation. Il suffit de s’intéresser à des initiatives comme Salaweg, une petite entreprise gérée par trois communautés autochtones de Gaspésie, pour s’en convaincre. Sous forme de relish, de mélange à tartares ou de condiments, la laminaire sucrée que cultivent les Micmacs et les Malécites formant Salaweg a déjà séduit plusieurs chefs de la province et prend chaque année de l’ampleur. Peut-on finalement dire que le Québec recèle un immense trésor dans ses eaux ? Tout à fait, selon nos deux intervenants. « Nous disposons ici des produits marins parmi les meilleurs au monde. Ils sont fermes, goûteux et de grande qualité. Alors, pourquoi nous en priverions-nous ? », soutient Sandra Gauthier. Un constat partagé par Stéphane Modat, qui dit avec humour que « manger un brochet de la Baie-James, c’est comme déguster du foie gras dans les Landes ». Tenons-nous le pour dit !

Quelques bonnes adresses pour goûter les produits de la mer au Québec

On cuisine et on sert des poissons, fruits de mer, mammifères marins et algues dans de plus en plus de restaurants à travers le Québec. Toutefois, ceux qui adhèrent aux principes de Fourchette bleue, qui valorise les espèces marines du Saint-Laurent depuis plus de 10 ans, qu’elles soient connues ou non, sont ceux que nous vous recommandons le plus. En voici une petite sélection !

CHEZ BOULAY – BISTRO BORÉAL

À Québec, le réputé chef Jean-Luc Boulay et son complique Arnaud Marchand proposent une cuisine nordique inspirée priorisant les produits du terroir québécois et leur saisonnalité.

CHEZ CHOSE

À Montréal, un restaurant convivial tout simple, dont le menu met notamment en avant le loup marin, l’omble de Gaspésie et d’autres espèces marines.

LA MAISON DU PÊCHEUR

Avec sa vue imprenable sur le Rocher percé, son décor maritime à souhait et son menu mettant en vedette sous toutes les formes les espèces marines de la région, cette maison est très accueillante.

AUBERGE LA SALICORNE

Entourée d’un panorama de rêve, cette auberge colorée fait découvrir à ses visiteurs la cuisine authentique madelinote, dont celle du loup marin, de la morue et du homard.

HÔTEL TADOUSSAC

L’Hôtel Tadoussac, une institution de la région plantée au bord du Fleuve est un repère aussi romantique que gourmand, avec des restaurants privilégiant les produits marins locaux.

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Sophie Ginoux

Sophie s'occupe de la direction éditoriale et artistique de différents types de projets : livres de fiction, pratiques ou illustrés, publications diverses. Ses spécialités ? La gastronomie au sens large, l'alimentation, l'art de vivre et la culture.


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