L’île Verte, les pieds dans la boue


Si vous recherchez une activité insolite à tester cet été au Québec, on vous recommande fortement le Sentier de la bouette. Chaque année, cet événement chevillé au Bas-Saint-Laurent attire des centaines de personnes dans une ambiance bon enfant. Elles rejoignent à pied l’île Verte en profitant d’une grande marée. Ça colle, ça mouille et on a du fun !

« On retrouve notre âme d’enfant. » Cette amie venue me rendre visite avec mari et ado ne croyait pas si bien dire à l’arrivée du Sentier la bouette. Nous étions sales mais heureux.

Lors de leur venue au Québec en juillet 2017, je leur avais proposé de prendre part à cette expérience aquatico-boueuse lors de notre passage dans le Bas-Saint-Laurent, qui compte quelques très beaux villages comme Kamouraska, Cacouna ou encore Notre-Dame du Portage, où une enfilade de résidences plus charmantes les unes que les autres font face au fleuve – devenu estuaire – et ses couchers de soleil somptueux. Presque un pléonasme dans cette région réputée pour ses crépuscules haut de gamme. Avant de nous jeter dans le grand bain [de boue], nous avions passé deux jours sur la rustique et surprenante île Verte. Il avait fallu nous lever très tôt pour prendre le traversier La Richardière devant nous conduire jusqu’au point de départ, prévu sur le quai de la municipalité de l’Isle-Verte, sur la rive sud. Vers 4h du matin, les yeux pas encore en face des trous, on avait trouvé du réconfort dans une aube donnant à l’obscurité vacillante des allures de cocktail. Le soleil était encore en pyjama, et le dégradé de couleurs qui précédait sa résurrection avait fière allure.

Une foule hétéroclite

Quatre heures plus tard, le Saint-Laurent avait l’air bien maigrichon. La grande marée avait fait son œuvre. Elle avait aspiré sa prestance.

Vers 8h, le quai était bondé. Le stationnement, très vite saturé, avait incité les automobilistes à se garer de chaque côté de la route menant au petit embarcadère. Il y avait foule : plus de 400 inscrits. Beaucoup de gens de la région, un mélange de fidèles et de néophytes, d’adultes et d’enfants, prêts à accomplir cette traversée d’à peine 5 km, que les plus pressés allaient avaler en deux heures. Quelques chiens étaient aussi de la partie, comme Virgule, un caniche royal reconnaissable à son bandana rouge autour du cou, imperturbable malgré l’effervescence ambiante et dont c’était la 3e expérience du genre.

Avant le top départ, le comité d’organisation avait dispensé les dernières consignes à l’aide d’un porte-voix. Des classiques d’une édition à l’autre : apporter de l’eau et de quoi se sustenter, des vêtements de rechange… et bien sûr de la crème solaire pour se protéger des rayons du soleil, radieux cette fameuse journée du 23 juillet. J’avais constaté, amusé, que certains participants avaient enserré leurs chaussures avec du ruban adhésif, histoire de ne pas les perdre, en particulier à proximité des rives, devenu un véritable bourbier, fort potentiel de succion inclus.

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Gérald Dionne, figure bien connue de l’île Verte, était au nombre des guides qui encadraient la traversée en juillet 2017. © Olivier Pierson

Une seule issue : se salir !

Le parcours avait débuté sur les berges. Le longue file des participants avait ralenti la progression, créant même un petit bouchon que j’avais mis à profit pour discuter avec les personnes devant moi. Car c’est aussi ça le Sentier de la bouette : un moment convivial. On se laisse vite happé par l’atmosphère bon enfant qui se dégage de ce rendez-vous trentenaire.

Le vif du sujet n’avait pas tardé à se rappeler à nous. La boue ! Une fois dans le lit du Saint-Laurent, chacun y était allé de sa technique pour se déplacer sur le sol vaseux. À titre personnel, j’avais décidé de foncer tête baissée. L’enfant qui sommeillait en moi était réapparu sans préavis, le même qui aimait sauter jadis dans les flaques d’eau, sans égard pour l’état de ses chaussures, et accessoirement des passants. J’avais poussé le vice jusqu’à enfiler de belles chaussettes blanches, lesquelles, irrécupérables devant le sort subi, avaient fini à la poubelle. J’avais aussi souri en apercevant à ma gauche cette personne progressant méticuleusement pour ne pas se salir, ce qui me paraissait incongru pour ne pas dire inutile vu notre terrain de jeu. D’autres s’agrippaient à une épaule ou une main pour maintenir un semblant d’équilibre, ou s’en remettaient à leurs bâtons de marche. La technique du patin à glace, pour éviter l’effet de ventouse de la boue, semblait aussi avoir fait quelques émules, tandis que les plus téméraires exacerbaient la sensation de communion avec la nature en progressant pieds nus.

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Les appuis deviennent moins sûrs dans la boue, particulièrement collante. Mieux vaut bien lacer ses chaussures ! © Olivier Pierson

Pause collation sur l’île Ronde

L’alignement du début avait très vite éclaté, la progression des « bouetteurs » était devenue erratique. Un véritable essaim humain. D’où je me trouvais, j’avais l’impression d’observer une armée en déroute. Assez rapidement, l’eau avait supplanté la boue, atteignant par endroits les genoux des marcheurs, obligeant les plus petits à trouver refuge sur le dos ou les épaules d’un parent, ou à prendre place à bord d’un pneumatique tout indiqué pour ce type de sortie. Cette traversée avait été l’occasion de faire connaissance avec la faune locale – pas des baleines on s’entend ! -, composée de crabes, homards et autres moules…. Mais aussi avec la zostère marine, une algue qui fit autrefois tourner l’économie de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, la municipalité qui se trouve sur l’île Verte, dont le nom, il faut bien l’avouer, n’est pas le meilleur carton d’invitation.

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En arrivant sur l’île Ronde, située à mi-parcours, théâtre d’une petite pause collation.  © Olivier Pierson

À mi-parcours, la traversée avait fait une pause sur l’île Ronde, comme le veut la tradition, que beaucoup avaient mis à profit pour prendre une collation. Passé ce confetti de sable, de forêt et de roches, le paysage avait changé, devenant plus rocailleux. Les algues n’étaient plus les mêmes. Des laminaires cette fois, qu’il fallait aborder avec tact, ces herbes marines épaisses s’avérant glissantes. Sur la fin du sentier, la boue était réapparue. Ce que l’eau avait nettoyé, elle s’était empressé de le souiller à nouveau, ce qui avait inspiré cette confidence à une des participantes : « Ça se termine comme ça a commencé ! » La conclusion parfaite pour cette journée gravée dans les mémoires… et sur nos vêtements.

La 31e édition aura lieu le 3 août 2019. Plus d’infos : www.labouette.com

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Olivier Pierson

Journaliste depuis une vingtaine d'années, Olivier a œuvré en France au sein de la presse quotidienne régionale, traitant de sujets aussi divers et variés que le sport, la politique ou les faits divers... C'est désormais à la culture et au tourisme de plein air que ce fondu de marche consacre la majeure partie de son temps, toujours friand de découvertes et de rencontres, mais aussi de nouvelles expériences !