
Stéphane Modat, chef du Clan : confessions d’un chasseur-cueilleur-pêcheur
Dans le Vieux-Québec, où les repaires à gourmets jouent des coudes sans vraiment
De la grande cuisine au pays de la poutine ? Et comment ! Aujourd’hui, et ce n’était pas si évident il y a encore 30 ans, la scène gastronomique québécoise épate la galerie bien au-delà des frontières, attirant les projecteurs des guides les plus prestigieux. À Montréal et à Québec, mais aussi en région, les restaurants où se régaler d’une cuisine fine, moderne et inventive ne cessent de se multiplier. Ils brillent par leur diversité et par la créativité débridée des chefs d’ici, lesquels s’appuient eux-mêmes sur l’essor du terroir québécois, cette réjouissante montée en puissance des produits frais, locaux et saisonniers, tant agricoles que sauvages, depuis une trentaine d’années également. C’est l’une des spécificités de la « Bonne Province ». Voici quelques repères pour explorer ce Québec qui sait parler aux gourmets sans rien rater d’essentiel. Et vivre des expériences culinaires uniques.
Daniel et Raphaë Vezina – Laurie & Raphaë
Est-ce à mettre au crédit de son rapport étroit à la « Vieille Europe » et à la culture française ? Le Québec est depuis longtemps réputé en Amérique du Nord pour être une terre à part, un endroit où l’art de vivre et le bien-manger font partie du quotidien. Pour autant, ce n’est que dans les années 1990 qu’une scène proprement gastronomique commence véritablement à défrayer la chronique et à attirer les plus pointus des gourmets. L’affaire prend corps à Montréal, à Québec et dans les Laurentides, où une poignée de pionniers commencent faire sortir la grande cuisine des grands hôtels pour ouvrir leurs restaurants gastronomiques en ville. Ils s’appellent Normand Laprise, Daniel Vézina, Yvan Lebrun, Marcel Kretz, Jérôme Ferrer, Laurent Godbout, Claude Pelletier, Jean-Claude Boulay…
Normand Laprise – Restaurant Toqué!
Avec des tables comme Toqué!, Laurie Raphaël, L’Initiale, Chez L’Épicier, Le Club Chasse et Pêche, La Sapinière, Europea, Chez Boulay, ils vont inspirer, former et ouvrir la voie à une première génération de jeunes toques bien décidées à mettre le Québec sur la map gastro. Martin Picard et son Pied de Cochon, Martin Juneau et sa Montée de Lait, David MacMillan et Frédéric Morin avec Joe Beef, font partie de cette vague-là, souvent décrite comme décontractée, voire délurée et rebelle.
Martin Picard – Au Pied de Cochon
Dans les années 2010, le phénomène explose. À Montréal en particulier, on ne compte pas les nouveaux restaurants qui ouvrent tout au long de cette foisonnante décennie sans, souvent, la dépasser, confrontés à une rude concurrence et aux tensions de main-d’œuvre. Les 400 Coups, un des restaurants les plus en vue du Vieux-Montréal où le chef Jonathan Rassi et le pâtissier Patrice Demers ont œuvré, fait partie de ces étoiles filantes. La sélection est cruelle et seuls les plus costauds survivront, à l’image du Mousso d’Antonin Mousseau-Rivard qui voit le jour en 2015, tout comme le Montréal Plaza du chef-propriétaire Jean-François Crête, qui fit ses gammes auprès de Normand Laprise au Toqué!.
Antonin Mousseau Rivard – Le Mousso
En 2020, la pandémie vient mettre un coup d’arrêt à la frénésie, avortant ou suspendant nombre de nouveaux projets et complexifiant encore davantage la question des ressources humaines dans les métiers de bouche comme dans l’hôtellerie. Mais depuis, la scène gastronomique au Québec a retrouvé ses couleurs et une nouvelle génération de chefs se lance dans l’aventure. À cette image, le jeune chef Francis Blais, premier Québécois à avoir remporté Top Chef Canada en 2020 et cofondateur du traiteur gastronomique Menu Extra, s’apprête à ouvrir son propre resto sur la rue Bernard, le prometteur « Bistro à Franky ». L’histoire continue bel et bien et, à Montréal comme dans tout le Québec, les foodies ne sont vraiment pas près de s’ennuyer !
Francis Blais
Daniel et Raphaël Vezina – Laurie & Raphaël
Vaut-il mieux visiter Montréal ou Québec ? La proverbiale rivalité entre la métropole du Québec et sa capitale historique ne date pas d’hier. Elle anime encore les dîners, agitant tour à tour chaque sujet, du sport à la culture en passant par qualité de vie ou l’ambiance du nightlife, chaque convive défendant sa cité préférée. La gastronomie n’échappe naturellement pas au jeu avec, d’un côté, une scène montréalaise réputée pour son kaléidoscope d’influences, sa cuisine fusion inventive ou son nombre effarant de tables au kilomètre carré, et de l’autre, une bonne vieille ville de Québec plus sage et classique, moins foisonnante mais très mature, campée sur les fondamentaux de la gastronomie à la française.
Arvi
Si les clichés ont la vie dure, il faut admettre qu’en raison de sa taille et de sa diversité culturelle – avec 120 nationalités différentes la composant officiellement –, Montréal ma cosmopolite a longtemps eu une certaine longueur d’avance question envolées savoureuses. Mais il faut aussi convenir que Québec fait bien mieux que se défendre, surtout ces dernières années. La Vieille Capitale sort d’ailleurs grande gagnante de la guerre des étoiles du premier palmarès Michelin en terres québécoises, délivré au printemps 2025. Et qui est le seul et unique double étoilé du Québec ? Tanière3 du chef François-Emmanuel Nicol, à Québec bien sûr, où le guide a également consacré d’une étoile le restaurant ARVI (Julien Masia), le Laurie Raphaël (Raphaël Véniza), Légende (Elliot Beaudoin) et Kebec Club Privé (Pierre-Olivier Pelletier et Cassandre Osterroth), tandis que le restaurant Alentours est récompensé d’une étoile verte. Bibendum aurait choisi son camp ?
Tanière3
À Montréal, seulement trois tables reçoivent leur premier astre : Europea (Jérôme Ferrer), Mastard (Simon Mathys) et Sabayon (Patrice Demers). Et ailleurs ? Il faut se rendre à l’excellent Narval (Norman St-Pierre) de Rimouski, au Bas-Saint-Laurent, pour dénicher la seule étoile régionale Michelin. Alors forcément, quelques dents grincent parmi les mâchoires avisées. On se souvient que l’éphémère guide Gault & Millau consacré au Québec avait en son temps (2016) concocté une distribution de toques autrement plus équilibrée, complète et attentive aux tables régionales de l’étape. Ah, les goûts et les saveurs…
Narval
Club Chasse & Pêche
Chez Mathilde
Gastronomique, bistronomiques, traditionnels, modernes, urbains, champêtres, autochtones, avant-gardistes, rebelles ou farfelus, les représentants de la scène gastronomique québécoise ont tout de même un point commun indiscutable : ils jouent tous sur du velours avec les produits du terroir québécois, première source d’inspiration des cuisiniers et de très loin. Avec ses saisons bien marquées et le savoir-faire de ceux qui travaillent la terre, cultivent, récoltent, vendangent, cueillent, chassent et pêchent, le Québec offre un panier se saveurs locales très complet qui ne cessent de s’affiner en termes de qualité.
Le Candide
Là encore, l’histoire n’est pas si ancienne, et ce n’est pas un hasard si l’ascension de la gastronomie au Québec suit précisément la courbe de l’essor des produits locaux et du succès de ces artisans décidés à privilégier la qualité et le respect de la terre. En balayant des yeux les menus des grands restaurants, il est d’ailleurs facile de dégager des tendances, des produits, des producteurs et des régions stars. En ce moment, les asperges, le céleri-rave, la bette à carde, la rhubarbe, les huîtres, les mactres, le flétan, le poulet de Cornouailles ou encore les fraises du Québec ont clairement la cote, de même qu’on remarque un vrai engouement pour les saveurs des grands espaces sauvages, les fruits de la chasse et de la pêche bien sûr, mais aussi une kyrielle de plantes et d’épices boréales, comme le thé du labrador, le myrique baumier, le poivre des dunes et, naturellement, les champignons, paradoxalement assez méconnus des Québécois.
Le Candide
Le chef Stéphane Modat, originaire de Perpignan et qui a brillé au Champlain du Fairmont Le Château Frontenac avant de lancer sa propre table à Québec avec l’excellent Le Clan, illustre bien ce penchant croissant pour les ressources naturelles de la Belle Province. Tombé amoureux fou de ces produits sauvages les plus bruts possible, il va jusqu’à indiquer les coordonnées GPS de ses fournisseurs sur ses menus.
Stéphane Modat – Le Clan
D’autres ont fait du locavorisme leur grand cheval de bataille. On peut citer John Winter Russel (le Candide à Montréal), Alexandre Vachon au Hatley ou encore le chef Tim Moroney (Alentours à Québec) qui s’approvisionne dans un strict rayon de 150 km, cultive des liens très étroits avec les producteurs locaux et teinte d’écoresponsabilité chaque geste de sa cuisine. Vertueuse, goûteuse, voyageuse, joueuse, partageuse : la scène gastronomique du Québec a décidément tout pour continuer à nous enchanter.
Fraises du Québec – Restaurant Toqué!
Morilles du Quebec – Le Clan
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