Stéphane Modat, chef du Clan : confessions d’un chasseur-cueilleur-pêcheur

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Dans le Vieux-Québec, où les repaires à gourmets jouent des coudes sans vraiment casser les codes, Le Clan de Stéphane Modat tire son épingle du jeu gastronomique avec une truculente décontraction

Une fois à table, entre des murs deux fois centenaires parés d’un improbable bestiaire, l’expérience du Clan nous transporte à la fois dans la maîtrise stratosphérique du chef, au plus profond des secrets du terroir québécois et, comme une évidence, au fil des eaux, des sous-bois et de la toundra qui nappent les grandes étendues boréales. En entrant dans Le Clan, tous nos sens se mettent au diapason de cette passion des goûts purs que le chef Modat communique à son équipe. Ici, la cuisine est un prétexte au voyage, à l’aventure, aux rencontres. Elle est un pourvoyeur hors pair d’évasion et d’émotions.

Le Chef Stéphane Modat derrière ses cuisines - Le Clan - Restaurant Gastronomique à Québec - Photo Frédéric Laroche

Le Chef Stéphane Modat derrière ses cuisines – Le Clan – Restaurant Gastronomique à Québec – Photo Frédéric Laroche

Au Clan, un vent de liberté qui fleure bon les grands espaces

Le Clan, c’est d’abord une maison qui, sous la férule de Stéphane Modat et de son partenaire Yanick Parent, a su se réinventer en se jouant malicieusement des figures imposées de la grande gastronomie. Cette adresse de la rue des Jardins, au cœur du Vieux-Québec, a la particularité d’occuper les murs de l’ancien Café de la Paix, institution d’inspiration française qui régalait son monde depuis 1952 avant de laisser la place au restaurant L’Improviste, lui-même fermé en 2020. Fait qui a plus de sens qu’il n’y paraît, Le Clan se situe à mi-chemin entre deux figures tutélaires du Vieux-Québec, le monastère des Ursulines et la galerie d’art inuit Brousseau, qui borde la très gourmande rue Saint-Louis. Si la première témoigne de l’exceptionnelle richesse patrimoniale de la vieille capitale de la Nouvelle-France, la seconde est en soi une invitation à voyager vers des ailleurs où rien ne fait de l’ombre à la nature brute. Quand on sait, de plus, que cette bâtisse de la haute-ville défie les époques depuis 1801, année de sa construction pour un… boucher, et qu’elle aura logé, entre autres commerces, une épicerie, on commence à réunir pêle-mêle les ingrédients qui font la singularité du Clan : le cachet des vieilles pierres, la tradition – française, forcément ! – des métiers de bouche, l’appel de la grande nature… Tout s’assemble, dans l’ordre ou presque, dès lors qu’on pousse la porte d’entrée. Première originalité : on tombe littéralement nez-à-nez avec la cuisine. Celle-ci occupe le gros du rez-de-chaussée, et on ne peut s’empêcher d’épier un instant ces coulisses ouvertes où s’affaire la brigade souriante – très bon présage – du chef Modat. Ave, convives, ceux qui vont vous régaler vous saluent !

Un des plats du restaurant gastronomique Le Clan à Québec - Photo Frédéric Laroche

Photo Frédéric Laroche

L’escalier menant à l’étage est surmonté d’un imposant trophée lequel, à son tour, nous met au parfum. Cet orignal de bienvenue est le premier représentant du bestiaire fantastique qui orne les murs des différents espaces de la salle : de coquets trophées de lapins et de lièvres arborant des bois de cervidés, alias les légendaires « jackalopes ». De l’original après l’orignal ! On doit ces œuvres à une « origéniale » artiste-taxidermiste de Sainte-Béatrix, dans la région de Lanaudière, la bien nommée May Jackalope. On se sent déjà ailleurs, quelque part entre la classe feutrée du resto gastro et la décontraction en bois rond de la pourvoirie. Mais la malice du chef Modat ne s’arrête pas à la déco. Sur la table de notre gastro cool trônent deux cartes aux trésors. La première est une véritable carte du Québec. Elle nous servira de road book agrotouristique durant tout le repas, étant donné qu’elle indique l’emplacement précis des différents fournisseurs du chef et des terroirs où il puise sa matière première. Plus énigmatique, la seconde, intitulée « La carte de Monsieur Smith », est un menu permanent faisant honneur à la toute première vocation de la maison, Mr Smith n’étant autre que le boucher qui officiait ici même il y a 220 ans et des poussières. Du foie gras confit de Saint-Apollinaire à la double côte de porc de Saint-Patrice-de-Beaurivage en passant par la côte de bœuf Angus de Sherbrooke, on est, là encore, très sourcilleux sur le sourcing, les coordonnées GPS de chaque producteur apparaissant sous le nom des plats. Mais avant d’entrer dans le vif des menus, parlons un peu de ce jeune maître des lieux dont le portrait pop art orne tout un mur de la salle…

Le cachet unique du restaurant Le Clan à Québec - Photo David Lang

Photo Frédéric Laroche

 

Du Château au Clan, trois petites rues mais un pas de géant pour Stéphane Modat

Sur cette toile monumentale, variation loufoque de La Cène, l’artiste local Berko a représenté Stéphane Modat en Jésus auréolé. Le chef est entouré, en guise de disciples, de saints aussi indiscutables que Mickey et Dingo, Homer et Bart Simpson, Winnie l’Ourson, Popeye ou Tintin, lesquels figurent aux côtés de différentes personnalités de la ville de Québec, à l’image d’un Robert Lepage ou de Bonhomme Carnaval himself ! On aperçoit d’ailleurs un graffiti « I love Québec », façon de rappeler l’attachement profond du chef, originaire de Perpignan, à sa ville et province d’adoption depuis déjà une vingtaine d’années. On comprend mieux pourquoi l’accent du Sud s’est dissipé au profit d’intonations plus… boréales. D’autant que c’est à deux pas d’ici que la greffe entre le cuisinier français et la Belle Province a prise définitivement. De 2013 à 2021, après avoir travaillé au restaurant Initiale avec Yvan Lebrun et confondé une autre table réputée de Québec, Utopie, Stéphane Modat a en effet dirigé des cuisines parmi les plus prestigieuses de tout le continent, celles du Fairmont Le Château Frontenac, le plus iconique des grands hôtels du Canada. Hyperactif, affable, mordu de voyage et d’aventure, le chef s’est fait connaître durant toute cette période bien-delà du périmètre de ses fourneaux, signant plusieurs livres où il témoigne autant de ses passions et expériences que de son travail de création culinaire (Les Recettes de papilles et molécules, De ma cour au château, Cuisine de chasse et l’excellent Cuisine de pêche, tous aux Éditions La Presse) et participant à des émissions télévisées très populaires au Québec, telle la série « Papilles » sur Télé-Québec ou le show « Les Chefs! » (ICI Radio-Canada Télé).

Un des plats du restaurant gastronomique Le Clan à Québec - Photo Frédéric Laroche

Photo Frédéric Laroche

En 2020, quand le monde s’arrête et retient sa respiration sous les masques, notre cuisinier a 42 ans. Malgré la touche très remarquée qu’il a réussi à imprimer au restaurant Le Champlain – Stéphane Modat est nommé chef de l’année 2019 aux Lauriers de la gastronomie québécoise –, il sent arriver la fin d’un cycle. Le contexte de la pandémie a généré des remises en question en pagaille, en particulier dans les métiers de la restauration et de l’hôtellerie. En plus de le priver un temps du goût et de l’odorat, cet épisode aura produit chez Stéphane Modat un véritable déclic, un appel irrésistible, après huit années de vie de Château, à voler de ses propres ailes. Au moment de quitter la direction du Champlain, l’énergique quadra se confiait tout en remerciant chaleureusement ses équipes : « Dans la vie, le plus important est de rester vrai et intègre avec ses valeurs, de rêver grand, et toujours repousser plus loin sa zone de confort. Pour l’instant, ma tête bouillonne de projets et d’idée plus folles les unes que les autres, mais il y en a une qui m’allume pas mal… »
Sa rencontre avec Yanick Parent, déjà propriétaire de plusieurs restaurants à Québec, allait propulser la suite de l’histoire. Un créatif surdoué, un entrepreneur émérite : le tandem de rêve pour mettre en musique le projet qui donnerait toute sa place à ce qui anime le chef par-dessus tout, l’univers foisonnant du terroir québécois, ses fruits et ses artisans, ainsi que ces saveurs sauvages dont Dame Nature seule a le secret. Car la pêche, la chasse, la cueillette de champignons, d’herbes ou de petits fruits nordiques, ce sont bien plus que des marottes pour Stéphane Modat. Gravées dans son cœur, ces passions le sont aussi sous la peau de son bras droit, assez robuste pour accueillir en tatouages chacun des premiers animaux marquants qu’il a prélevés aux quatre coins de la province, qu’ils soient à poils, à plumes ou à écailles. Source intarissable de ravissement, la nature indomptée du Grand Nord québécois a bouleversé le chef dès sa première incursion au-dessus du 55e parallèle : « Je me souviendrai à vie de la première fois où j’ai été témoin d’une aurore boréale, comme du jour où je suis allé récolter des moules nordiques sous la banquise avec les Inuit de Kanjiqsujuaq ! »

Un des plats du restaurant gastronomique Le Clan à Québec - Photo Frédéric Laroche

Photo Frédéric Laroche

Les yeux du chef voyageur pétillent tout autant quand il évoque ses initiatives pour aller plus loin encore dans sa quête de qualité et de goûts purs, avec le moins d’intermédiaires possible entre la nature et l’assiette. Il se montre intarissable sur les producteurs et transformateurs avec qui il travaille, souvent devenus des amis, qu’ils soient situés à portée immédiate de Québec (Chapeau Les Bois pour leurs champignons et herbes sauvages, la boulangerie Borderon & fils pour son pain à l’eau de mer, Balsaï pour l’ail noir bio de l’île d’Orléans, etc.), ou à l’autre bout de la province, loin des villes, en particulier dans ce Québec des Premières Nations qui continue à inspirer le chef. « Je compte bientôt proposer un produit vraiment unique, le homard le plus frais qu’on puisse imaginer. Il est récolté à la main, à marée basse, par la famille Lalo en Basse-Côte-Nord, à la façon traditionnelle des Innus ». Derrière ce projet-pilote visant non seulement une traçabilité optimale, mais aussi une rémunération optimale pour l’artisan pêcheur, il y a un vrai coup de cœur du chef pour un territoire et ses habitants. C’est en mangeant qu’on comprendra en quoi la proposition du Clan n’est pas simplement une balade gustative à travers le Québec, mais une véritable romance – ou plutôt « bromance » – entre un chef et ses fournisseurs, tous de mèche pour magnifier des produits et des savoir-faire d’exception.

Un des plats du restaurant gastronomique Le Clan à Québec - Photo Frédéric Laroche

Photo Frédéric Laroche

Un soir d’été au Clan, une odyssée phénoménale en six services

Le matin même de notre visite, un flétan de l’Atlantique d’une qualité imparable était livré en cuisine. De quoi mettre le chef et toute son équipe en émoi et en joie pour la journée. Accompagné de feuilles d’orties frites, d’ail sauvage, de ricotta et de monarde – une fleur au parfum délicatement citronné –, ce beau poisson venu tout droit de Sept-Îles fera naturellement partie de la grande odyssée en six services qu’on aura le privilège de vivre le soir, juste entre un fabuleux doré jaune du lac Champlain et une très gourmande pintade de la région voisine de Chaudière-Appalaches, sertie entre autres de pommes de terre fumées et d’un étonnant crumble de racines. Impeccables de précision et de lisibilité, les six plats présentés ont tous en commun de célébrer les noces entre le goût quasiment brut d’un produit vedette et la créativité débridée du chef en matière d’accompagnements et de sauces. Nous rassurer par la franchise des saveurs et la justesse des cuissons tout en nous surprenant par le choix des produits et le jeu des textures, voilà sans doute un trait saillant de la signature Modat.

Un flétan de l'Atlantique arrivé le matin même, accompagné de feuilles d’orties frites, d’ail sauvage, de ricotta et de monarde - Restaurant Le Clan - Vieux Québec - Photo Vincent Arbelet

Photo David Lang

En fin de périple gourmand, après un festival d’accords mets-vins d’exception qui nous aura fait découvrir des appellations et des cépages dont on ignorait jusqu’à l’existence (chapeau bas au maître sommelier !), on s’étonne à peine de voir arriver de la salsepareille en dessert. Non seulement la plante dont les Schtroumpfs raffolent des baies existe bel et bien – cueillie en Minganie et connue aussi sous le nom de liseron épineux –, mais c’est par sa racine que le chef Modat nous invite à la savourer, associée à la suavité acidulée de carottes lactofermentées et aux arômes fumés de tourbe et d’algues du Laphroaig, le célèbre single malt écossais. Un final schtroumpfement audacieux pour un voyage gastronomique au long cours qui restera gravé aussi longtemps qu’une première aurore boréale dans le ciel pur du Nunavik. Le professionnalisme et la sympathie de la jeune équipe officiant en salle y participent pleinement, de même qu’une politique de prix qui autorise à se faire vraiment plaisir sans se ruiner (menu six services à moins de 100 $ et quatre services à 72 $). À mille lieues de la secte gastro inabordable donc, Le Clan de Stéphane Modat est une tribu grande ouverte où le plaisir de partager les trésors du terroir et ceux des grands espaces québécois est un rituel quotidien. Vive Le Clan !

Un des plats du restaurant gastronomique Le Clan à Québec - Photo David Lang

Photo David Lang

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David Lang

Journaliste spécialisé voyage et art de vivre, David se régale avec le Québec depuis plus de 15 ans. Après plus de 40 voyages à travers les régions et les saisons de la Belle Province, il devance largement Jacques Cartier et s’avoue toujours aussi bluffé par les expériences et les rencontres à vivre sur ce territoire hors nome. David le rédac’ chef anime une équipe de rédacteurs et de photographes avec qui il partage sa soif de découvertes chez les cousins.


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